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Hôpital Socha, Los Angeles
22 h 05
Dark était dans la salle d’attente quand Riggins revint, en sueur et hors d’haleine. Il avait foncé ici juste après avoir reçu le texto de Dark lui annonçant l’accident, ayant passé quelques coups de fil en route.
— Nous allons lui assigner deux flics vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, dit-il. Et j’ai déjà envoyé une équipe passer le lieu de l’accident au peigne fin.
Mais Dark l’écoutait à peine, parce qu’il savait que Riggins essayait de le rassurer. Pas de souci. On maîtrise la situation. Il ne lui arrivera rien. Tout va bien se passer. En d’autres termes, les mensonges habituels.
Dark pensait plutôt à ce qui se passait derrière lui, dans une autre partie de l’hôpital. Au-delà des stores, du mur, dans un autre couloir, plus loin, dans une salle où Sibby gisait, sous perfusion, la jambe bandée, un tube en plastique dans la gorge. Il fallait stabiliser pas mal de choses : la blessure à la tête, le cœur, les poumons, l’hémorragie interne…
L’amour de sa vie gisait sur une table d’opération, entourée de chirurgiens et d’infirmières qui avaient comme objectif de les sauver, elle et le bébé.
Dark prit une profonde inspiration, et l’odeur âcre du désinfectant lui emplit les narines. Il aurait voulu être dans le bloc avec Sibby, pour qu’elle sache qu’elle n’était pas seule. Mais il n’arrivait pas à oublier l’enregistrement qu’il venait d’entendre. La voix enfantine et sinistre de son ennemi, qu’il entendait pour la première fois.
Un mort, un jour, nous verrons.
Deux, un jour, pleureront.
Trois, un jour, mentiront.
Quatre, un jour, soupireront.
Il se récita cette comptine malsaine que des gosses vous chantent dans la cour de récréation pour vous flanquer la trouille, vous faire pleurer et regagner en courant les jupes de votre mère. Elle lui semblait vaguement familière, mais Dark ne se souvenait pas de l’avoir apprise dans son enfance. D’où la connaissait-il donc ?
À l’époque où Dark traquait Sqweegel, il ne disposait que de « reliques de deuxième classe » à examiner. Il tenait cette formule de son éducation dans un lycée catholique : les reliques de deuxième classe sont des objets touchés par un saint. Une bible. Un crucifix. Un fragment de vêtement. Les reliques de Sqweegel étaient un peu différentes : cadavres mutilés et torturés, messages griffonnés avec le sang de ses victimes, placards où il s’était caché.
Aucune trace tangible de leur auteur. Il était trop prudent, trop méthodique pour cela.
En d’autres termes, le FBI n’avait obtenu aucune relique de première classe – pas de fragment d’os, de mèche de cheveux, de rognure d’ongle, de cellule de peau.
Mais il en tenait enfin une : un échantillon de sa voix. Les paroles de Sqweegel semblaient s’être insinuées dans le cerveau de Dark et y résonnaient en boucle.
Cinq, un jour, pourquoi demanderont.
Six, un jour, grilleront.
Il devait se concentrer sur Sibby. Sur leur enfant. Et ne pas gâcher son énergie vitale sur ce truc.
Riggins continuait de lui assurer qu’il avait personnellement briefé les flics sur la dangerosité de Sqweegel. Impossible qu’il s’introduise ici sous une civière ou à l’intérieur d’un conteneur. Tout récipient plus gros qu’un seau serait inspecté. Tiens, on vérifierait même les seaux, pour être sûr.
Dark hocha la tête comme s’il écoutait, alors qu’en réalité il s’efforçait de chasser l’entêtante comptine de sa mémoire.
À croire que la voix de Sqweegel avait été conçue pour provoquer une réaction physique puissante chez Dark, comme un virus qui attaque son hôte.
Sept, un jour… Oh non…
Riggins lui toucha le bras.
— Selon les médecins, il y en a pour un bon moment. Si tu allais te changer un peu les idées ? Je vais rester ici.
Dark finit par acquiescer, puis il traversa le hall bondé et sortit de l’hôpital. Un seul endroit lui venait à l’esprit.